NikiNeuts
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Tour à tour peintre, sculptrice, dessinatrice et penseur de la féminité (entendu comme intelligence pure de la sensibilité), nikiNeuts est une artiste dont l'univers épouse, avec une grâce rare et confondante, toutes les phases de sa révolte. A la fois difficile, belle et profonde, son œuvre ne nous invite pas seulement à descendre dans les profondeurs de sa vie inconsciente (là où les monstres ne sont pas de simples images, mais de véritables forces vivantes), mais à remonter, aussi, vers les hauteurs d'une vie plus douce, plus facile, plus aimante – d'une vie qui a su triompher de tout ce qui voulait l'empêcher d'exprimer sa force.

 

par Frédéric-Charles Baitinger

 

 

 

 

Collection. Tel est le nom de la toile par laquelle nikiNeuts amorce sa descente. Toile préliminaire, toile principielle, toile « khôra » : c'est à partir d'elle, et à partir d'elle seulement, que toutes ses autres créations prennent un sens qui les dépasse et les transcende. Représentant, sous la forme d'une collection d'images (d'objets), les liens qui unissent une série de portraits à la figure d'un homme en noir – d'un commandeur (dont la seule ambition semble être de vouloir tirer un trait sur toutes les bouches qui seraient tentées de parler contre son autorité), cette œuvre (qui porte bien son nom, puisqu'une collection, à la différence d'une communauté, ne désigne pas une réunion de sujets (parlant), mais un regroupement d'objets (muets)) n'est autre que la cartographie mentale du problème (du complexe, du nœud) que se proposent de résoudre les autres œuvres auxquelles elle a donné naissance.

 

Pour s'en convaincre il n'est qu'à regarder, d'ailleurs, les autres toiles auxquelles cette première œuvre ouvre la voie(x) (Collection 2, Collection 3, Cellule 2). Car ces toiles, que ce soit dans leurs structures formelles ou dans ce qu'elles représentent, ne cessent de répéter (à qui a des oreilles pour entendre!), cette idée à la simplicité désarmante : sous l'unité apparente d'une couleur (d'une famille, d'un Totem, d'une société, ou que sais-je, encore...), seuls les liens noirs, archaïques, de la soumission à l'Autorité (au Nom du Père), possèdent la force suffisante (et humiliante) pour maintenir ensemble un groupe d'êtres à l'identité parasité par des réminiscences. Car c'est bien d'un parasitage, d'un envoûtement, d'une possession dont nous parle les œuvres de nikiNeuts. Non pas, bien sûr, de cette possession grandiloquente qui plaisait tant au docteur Charcot (dans son hôpital, à la Salpêtrière), mais de celle, plus silencieuse, plus insidieuse, dont souffre tous les êtres qui portent dans leur chair les jeunes pousses d'une liberté  conquérante.

 

Or, de quoi traite la deuxième partie de l'œuvre de nikiNeuts sinon, justement, de cet effort entêté, effréné, qui lui permit, à force de persévérance, de s'extraire de sa condition de muette, de sa condition d'esclave. Telles les femmes sorcières du moyen-âge (que l'impuissance de l'autorité inquisitoriale ne pouvait qu'accuser d'avoir partie liée avec le démon – puisqu'elles échappaient, justement, à l'emprise de leur malédiction), les femmes qui hantent l'œuvre au noir de nikiNeuts ne sont plus seulement des femmes souffrantes, des femmes victimes d'un envoûtement, mais des femmes libres, des femmes folles, des femmes hurlantes, des femmes criantes, des femmes en rupture de ban. Que ce soit dans sa peinture Hôtel, ou bien dans celle, plus éloquente encore, intitulée Aube, nuit et crépuscule, les figures représentées ne sont plus seulement les jouées d'une force qui les castre, mais le lieu d'un mouvement d'extase qui les soulève et les emporte.

 

Et ce mouvement d'extase, ce mouvement de sortie du soi et d'éveil, nikiNeuts a su lui donner le seul attribut qui pouvait, de par sa simplicité et sa force, faire concurrence à celui de l'homme en noir (du Commandeur). A savoir : celui du symbole alchimique de l'œil pinéal ; œil qui, pour autant que nous sachions y prêter attention, était présent dès le début de son œuvre (sous la forme d'un trou, ou d'un soleil barré) et qui, de par son sens même (celui de troisième œil capable de voir dans le noir) ne pouvait que donner aux bouches barrées qui peuplaient ses premières toiles, le sens qu'elles se devaient d'avoir, c'est-à-dire, le sens d'un cri encore à venir et, peut-être plus encore, le sens d'un soleil capable, enfin, de rendre aveugle l'œil pervers (méchant) de l'homme en noir.

 

 

Frédéric-Charles Baitinger

Journaliste, philosophe, critique

2012

 

 

« Quand je sollicite doucement, au cœur même de l'angoisse, une étrange absurdité, un œil s'ouvre au sommet, au milieu de mon crâne. Cet œil qui, pour le contempler dans sa nudité, seul à seul, s'ouvre sur le soleil dans toute sa gloire, n'est pas le fait de ma raison, c'est un cri qui m'échappe. »

 

Georges Bataille

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